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Renée Vivien, l'indispensable effacée du romantisme féminin

Elle naît à Londres, le 11 juin 1877, sous le patronyme de Pauline Mary Tarn, d’un père rentier, John Tarn,   et d’une mère américaine, Mary Gillet Bennet. Elle entretient nombres de légendes autour de ses origines, « pétrie de races différentes, née de climats aussi divers que le Sud et le Nord », selon Charles Maurras, qui ajoute : « La moitié de ses Brumes[1] est traduite du norvégien. Elle cite Swinburne, mais ne paraît pas moins familière avec le latin de Catulle et le grec de Sapho, qu'elle traduit et paraphrase à tout instant. ».

A neuf ans, la jeune Pauline perd son père, disparition prématurée qui bouleverse sa vie. Rapidement sa mère se remarie et Pauline est placée dans une pension londonienne où règne une discipline sévère. Lors de ses retours à Paris, elle retrouve une amie d’enfance, Violette Shillito, enfant prodige dotée d’une culture étourdissante  et qui  fut la première grande passion de Pauline.  Plus tard, elle rencontre Amédée Moullé, quinquagénaire cultivé, avec qui elle engage une longue correspondance nourrie de leurs affinités culturelles, puis d’une amitié amoureuse et platonique. Un beau soir d’hiver de 1899, Violette Shillito lui présente Nathalie Clifford Barney, une jeune poétesse américaine. Une fascination mutuelle s’exerce alors  sur les deux femmes et nourrira une liaison passionnée, orageuse et difficile. Une seconde amitié masculine, intellectuelle et amicale, avec Charles Brun, agrégé de lettres et poéte. qui ouvrira à Renée les portes de l’éditeur des parnassiens,  Alphonse Lemerre, chez qui elle publiera une grande partie de son oeuvre. 1901, année terrible au cours de laquelle elle assiste son amie Violette Shillito dans les moments qui vont précéder sa mort à l’âge de 24 ans.  Affectée par cette disparition, délaissée par Nathalie Barney, Renée Vivien se replie dans son appartement de l’avenue du Bois où règne un climat mystique et reclus.

 

Intérieur

 

Dans mon âme a fleuri le miracle des roses

Pour le mettre à l’abri, tenons les portes closes.

Les rideaux sont tirés sur l’odorant silence,

Où l’heure au cours égal coule avec nonchalance.


Notre chambre paraît un jardin immobile

Où les parfums errants viennent trouver asile.

 

Pour garder cette paix faite de lueurs roses,

O ma Sérénité ! Tenons les portes closes.

 

La lampe veille sur les livres endormis,

Et le feu danse, les livres sont nos amis.

Oui, les chuchotements ont perdu leur venin,

Et la haine d’autrui n’est plus qu’un mal bénin.

Ta robe verte a des frissons d’herbes sauvages,

Mon amie, et tes yeux sont pleins de paysages.

Loin des pavés houleux où se fanent les roses,

Où s’éraillent les chants, tenons les portes closes.

C’est alors qu’elle rencontre la baronne Hélène Van Zuylen Van de Neyvelt Van de Haar. La baronne  veille à la santé de Renée, affaiblie par l’alcool et la névrose. Elle écrit une dizaine d’ouvrages dont, selon les exégètes, certains sont de la plume de Renée. D’autres paraissent sous le pseudonyme de Paule Riversdale. Au printemps 1904, Renée reçoit la lettre d’une admiratrice de Constantinople, Kérimé Turkhan-Pacha, début d’une correspondance importante entre les deux femmes. Cet amour lointain se poursuivra jusqu’en 1908. Rupture lente et tacite, les lettres s’effaceront peu à peu dans une grande lassitude. De 1907 à 1909 commence le déclin général de notre poétesse qui s’éteint le 18 novembre 1909.  Inhumée au cimetière de  Passy dans une chapelle néo-gothique sur laquelle est gravée l’épitaphe qu’elle avait composée pour elle-même :

Voici la porte d’où je sors...
O mes roses et mes épines !

Qu’importe l’autrefois ? Je dors

En songeant aux choses divines...

Voici donc mon âme ravie,

Car elle s’apaise et s’endort

Ayant, pour l’amour de la Mort,
Pardonné ce crime : la Vie.

 

L’oeuvre de Renée Vivien est marquée d’une parenté spirituelle avec le symbolisme. Maurras cite d’elle cette devise :”Emotion moderne et juste, pureté parnassienne”. Quant à Yves-Gérard le Dantec, il appellera “Les mélanges exotiques”, les différentes sources d’inspiration de Renée. C’est une transplantée, née anglaise, demi-américaine, de culture française, avec des affinités nordiques très significatives, pour descendre aux sources vivifiantes et dorées de la lumière ionienne. Lyrique, pure, elle saphise  avec une adresse rare, elle préraphaëlise jusqu’à la fusion absolue des deux procédés. Dans certaines oeuvres , on trouve mêlés Sappho, Dante. Renée puisera aux sources mêmes de Watts, Burne-Jones et Rossetti au point même de ressembler aux vierges spleeniques des plaines irréelles des peintres anglais.

 

Paysage mystique

 

Il est un ciel limpide où s’éteint le zéphyr,
Où la clarté se meurt sur des champs d’asphodèles,

Et là-bas, dans le vol de leur dernier soupir,
Vient l’âme sans espoir des amantes fidèles.

 

Là-bas, la rose même a d’étranges pâleurs,

Les oiseaux n’ont qu’un chant égal et monotone,

Les terrestres parfums ont délaissé les fleurs,

Le soleil a toujours un sourire d’automne.

Elles passent, les yeux vaguement azurés,

Dans l’azur virginal de leur beauté première,
Effleurant de leurs pas harmonieux les prés

Que leurs blancs vêtements parsèment de lumière.

 

Et le mouvant miroir de la source confond
Dans un même reflet les larges chevelures.
Les lueurs du couchant se mêlent à leur front :

Mais les baisers sont morts sur leurs lèvres très pures.

 

Elles ont recueilli la flamme de l’autel

Qui brûle sous les yeux de la chaste déesse

Et gardé de l’amour ce qu’il a d’éternel :

Le divin souvenir, le rêve et la tristesse.

Ses vers, principalement des alexandrins, ont respiré “Les Fleurs du mal”. Baudelairienne dans le fond, par  parallélisme d’inspiration, mais aussi dans la forme,  le vocabulaire, l’architecture poétique, le contrôle de la douleur, la riche orchestration de ses impressions, le raccourci de la pensée poétique.  Par le chant, le rythme, la voix, l’incantation musicale. En effet,  Renée Vivien, mêle intimement, poésie et musique. C’est dans le silence des mots que se  développe le contre chant des thèmes qui l’inspirent. La mélodie s’invite dans le poème, et sur la portée des mots, elle brode en noir et blanc, de subtils accords, de délicates nuances, des dissonances parfois. Ne souhaitait-elle pas « n’être qu’un souffle chantant exhalé dans l’espace »1 Ses traductions des vers de Sapho[2] et son recueil Les Kitharèdes[3],, marquent du sceau de l’héllénisme et du culte passionné qu’elle porte à la musique de l’antiquité grecque. En témoigne dans son oeuvre l’utilisation de la strophe saphique[4].

 

Ainsi qu’une pomme aux chairs d’or se balance

Parmi la verdure et les eaux du verger,

A l’extrêmité de l’arbre où se cadence

Un frisson léger ;

 

Ainsi qu’une pomme au gré changeant des brises
Se balance et rit dans les soirs frémissants,
Tu t’épanouis, raillant les convoitises

Vaines des passants.

La savante ardeur de l’automne recèle

Dans la nudité les ambres et les ors.
Tu gardes, ô vierge inaccessible et belle,

Le fruit de ton corps.
 

Cette grande maîtrise va se retrouver dans toutes les autres formes poétiques : sonnets, distiques, stances, tercets, quatrains :

 

C’est le soir. On entend passer les caravanes.
Rythmiques, les chameaux allongent leurs pas lourds.
La clochette à leur cou jette des refrains sourds.
Smyrne dort du sommeil repu des courtisanes.

Dans un jardin créé par les mains de la nuit

De fabuleux jasmins déroulent leurs lianes,

Et mes rêves s’en vont comme des caravans

 

 

[1] Il s’agit de son recueil « Brumes de fjord », publié en 1902

[2] Renée Vivien, Sapho, Alphonse Lemerre, Paris,1903

[3] Renée Vivien, Les Kitharèdes, Alphonse Lemerre, Paris 1904,

[4] Strophe saphique : de trois vers hendécasyllabiques un vers de cinq pieds comme l’avaient déjà utilisée Verlaine ou Marceline Desbordes-Valmore. 

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