Annie le brun, esthète de la révolte

Essayiste, critique littéraire, considérée comme la dernière surréaliste, Annie le brun s’est éteinte le 29 juillet dernier, à l’âge de 72 ans, alors que se fêtait le centième anniversaire de la parution du Manifeste du surréalisme. Au cours de ses études, en 1963 elle rencontre Alain Breton. Un événement qui déterminera le cours de son existence. C’est l’une des rares femmes à se faire une place au sein du surréalisme, en prenant prend part aux activités du mouvement jusqu’à son extinction en 1969 ; un cercle très masculin dont elle dira : "Le Surréalisme, c'était avant tout une quête, celle de trouver la singularité de ce qui relie chaque être au monde. Il a été une constellation qui a permis que des êtres très différents accomplissent cette quête, aussi bien individuellement que collectivement. Et de la même façon que l’asservissement et la soumission sont contagieux, la liberté l’est aussi". Elle ajoutera : Le fait qu’autour de vous, de façon amicale, des êtres commencent à respirer mieux, cela aide. Indépendamment des crises et des errements qu’a connus le mouvement, pour moi c’est cette contagion de la liberté qui caractérise le Surréalisme. C’est un projet sans équivalent dans l’histoire de l'art, si ce n’est le romantisme allemand, qui était traversé par le même désir de repenser l’homme et de repassionner la vie."
Très vite Annie Le brun s’impose comme une penseuse audacieuse et une poétesse de grand talent. Ombre pour ombre, paru en 2024 réunit l’ensemble de ses écrits poétiques. Connue pour ses essais critiques incisifs, elle analyse avec brio les œuvres de Sade, Bataille et autres figures emblématiques de la littérature que l’on qualifie de transgressive. Elle révèle sa capacité à déceler les enjeux cachés des textes qu’elle étudie. Avec une acuité rare, elle se livre à une analyse juste et précise de notre temps dans Du trop de réalité parue en 2000, puis dans Ce qui n’a pas de prix en 2018.
... il est de mots utilisés pour dire tout et n'importe quoi qui, à trop servir, deviennent calleux, avant de se constituer en langue de bois. Sont de ceux-là culture, solidarité, différence, nation, communication, concertation... On dirait même que, sous la pression d'une réalité dont l'excès consiste aussi à tout nommer, se produit un épaississement de la texture du mot, qui gagne l'ensemble de la langue jusqu'à lui donner de plus en plus quelque chose d'emprunté, dans tous les sens du terme.
Annie Le Brun contribue à de nombreux projets artistiques, en tant que commissaire d’expositions, Les arcs-en-ciel du noir à la Maison Victor Hugo en 2012 ; Sade, Attaquer le soleil au musée d’Orsay en 2014.
Son essai Lâchez tout, publié en 1977, marque son engagement contre l’embrigadement idéologique du néo féminisme, et son combat contre toutes les formes d’oppression.
Le décès d’Annie Le Brun est une perte immense pour le monde littéraire et artistique. Elle laisse derrière elle une œuvre foisonnante, témoignant de son esprit libre et de son insatiable quête de vérité et de beauté. Ses écrits continueront d’inspirer et de défier les générations futures, perpétuant ainsi l’héritage d’une femme qui n’a jamais arrêté de se battre pour l’émancipation de l’esprit et de l’imagination.
Dans une réflexion sur la poésie, dans son ouvrage Appel d’air, paru en 1988, elle écrit :
Il fut un temps où je croyais qu'il suffisait de fermer les yeux ou d'ouvrir les livres pour voir des jardins qui tiennent sur l'ongle du petit doigt, des amours qui font vraiment dériver les continents, des époques qui dansent avec des singes bleus sur l'épaule, des mondes suspendus en crinoline de rumeur. C'était le temps où j'étais prête à croire qu'un surgissement du merveilleux dépendait presque d'un caprice de la paupière.